Encre noire


6 août


Nous avons pris rendez-vous. Je vais présenter mon projet.

J'ai toujours un trac immense à ce moment là, mais il se superpose à l'impatience de convaincre. Je ne présente jamais deux projets. Ce n'est pas par mesquinerie : les choix de cohérence et les renoncements, je les ai déjà faits. L'histoire s'est construite pas à pas, en allant du global au détail et du détail au global. Les éléments qui composent le projet font référence les uns aux autres, et tout s'articule comme un jeu de taquin. En général quand mon projet fonctionne (je veux dire qu'il me convainc moi-même), je découvre des correspondances que je n'ai pas décidées... ça me réjouit toujours comme une complicité : mon projet devient autonome !

Bon, il s'agit d'être claire et d'organiser un peu la présentation de tout ça. La tentation est grande de raconter les anecdotes, mais on verra plus tard, il faut charpenter le récit, il y aura de toutes façons des dérapages, des questions anodines mais déroutantes, il faut aller au bout, et ne pas abdiquer devant des regards dubitatifs...

J'apporte un plan esquisse à l'encre noire, avec beaucoup trop de légendes pour être joli, mais j'ai tant à dire, c'est un aide mémoire (pour qui!). J'apporte des croquis dits "d'ambiance". J'apporte des photos des végétaux que je propose, ou des échantillons mis en bouquet. Je sais qu'on n' aura pas vraiment le temps de les regarder tous, ça ne fait rien, si la confiance est acquise, elle suffit.

Ce rendez-vous est le plus décisif d'un projet. C'est là que je mesure si je suis allée dans la direction qu'on m'a suggérée, si j'ai su aller au-delà , si le jardin va pouvoir "changer de main" : un jardin qu'on ne s'approprie pas n'existe pas.