Réflexions


10 juillet

J'ai tout dans mon bureau maintenant. Des repères, des contradictions, des intuitions, des hypothèses... Les idées prennent corps au dessus de ma table de travail, et parfois n'importe où, dans mon jardin, dans la voiture, ou au cours d'une promenade. Je parle beaucoup aussi, formuler des idées les renforce ou les détruit. Leur capacité de résistance à l'échange m'est essentielle.

J'étale mon plan d'état des lieux, quelques photos panoramiques, je fais des allers et retours acrobatiques entre mes tracés , la réalité et des fulgurances mentales...Je consulte des cartes, c'est toujours utile on apprend plein de choses sur les cartes, la toponymie suggère des végétaux ou la nature des sols, les courbes de niveau expliquent les cultures, l'organisation du bâti révèle le sud... je m'y perds avec délices et application.

Je retourne sur le site. Mentalement.

Il y a bien trois jardins ici, articulés autour du tilleul.
Devant la maison, il y a des murs, beaucoup de murs, magnifiques, austères, arkose blonde ponctuée de sombre basalte. En fait c'est une immense pièce devant la maison, que l'écroulement de la grange a révélé. Elle aura ses recoins, ses circulations, ses vocations. On modèlera le sol pour la rendre confortable et pour en souligner les tracés. On aura des murets, il y en a déjà un, maladroit mais touchant, Laurent l'a construit. Des murets, des terrasses, c'est bien ici, c'est un pays de vignes, ça sent le sud, avec la rudesse de l'Auvergne. François à suggéré des Cyprès de Provence. D'ordinaire je suis rétive à ces emprunts méridionaux. Pourtant ils poussent bien ici, j'en ai souvent vu, égarés sur les ronds-points... Et puis leurs silhouettes sombres accompagneraient parfaitement les grands murs clairs et cet ensemble marqué d'horizontales et de verticales nettes...

Et ce recoin sous le tilleul, il est sombre et inhospitalier. Allez, je l'absorbe, je fais d'autres terrasses, qui feront face à la maison. Non, ça ne va pas. C'est spectaculaire et séduisant , mais "ça ne marche pas". Et un vilain effet de couloir se dessine. Revenons à nos moutons. C'est sombre et inhospitalier. C'est un creux toujours à l'ombre. N'éludons pas le sombre et le creux: ce sera une niche fraîche. Ce sera un patio. Et il y aura de l'eau, même occasionnelle. Et un sol minéral, quelques galets de l'Allier peut-être. Et pour seules couleurs du vert et le bleu de l'ombre. Le mur, la relique de mur, bleuie d'un badigeon...
Je quitte le projet, laissons mûrir...
Je passe derrière le tilleul, mais je me sens vide. Oui, il y a bien trois jardins. Mais ça ne résonne plus.
Laissons mûrir.

Je repense à mon questionnaire, à "la promenade" que souhaitait Laurent. (?) Je repense aux tisanes de Anne. Je repense au petit Antoine, je me sens chargée d'une grande responsabilité: ses futurs souvenirs de jardin , je les oriente un peu. Il n'aura pas besoin qu'on lui montre les branches du noyer pour grimper dedans, il n'aura pas besoin d'outils pour inventer des constructions, mais pourtant, pour grignoter des groseilles ou se cacher dans les noisetiers, il faut bien qu'ils soient là, disponibles.
Les calques s'accumulent.

Je ne vais pas quitter la petite famille pendant des jours entiers....